La Cité Franche de Cadwallon
Introduction
Cadwallon est vivante de bien des manières. La première chose qui vient à l’esprit est cette image d’Epinal la présentant comme la Cité des Voleurs, un lieu d’opulence et d’indigence où tous les peuples se côtoient avec un indécent mépris. Mais au-delà de son atmosphère unique, Cadwallon est vivante car elle continue à se dresser fièrement vers le ciel malgré tous les périls qui la menacent, telle une rose de diamant et de fiel, insolente et magnifique.
Cadwallon fut autrefois l’un des symboles de l’âge d’or des Cynwäll. Cette cité située à l’embouchure de l’Ynkarô et du Leâk’Shear était non seulement une place-forte militaire, mais aussi un comptoir marchand incontournable sur cette partie du continent. Tous les peuples d’Aarklash y venaient - déjà - pour y faire du commerce et comploter.
Puis d’étranges événements agitèrent la vie de la cité. La rumeur et la superstition vidèrent la ville réputée maudite en un rien de temps, abandonnant la prétentieuse Cadwallon à la jungle pendant des décennies…
Une bande d’aventuriers, dont un Barhan renégat nommé Vanius, rentra un jour de Lanever en prétendant avoir découvert de fabuleux trésors dans la ville-fantôme. Nul ne revint de la courte ruée vers l’or qui s’ensuivit, et pour cause : les Obscurs d’Achéron convoitaient eux aussi les richesses de Cadwallon et avaient envoyé trois Nécromanciens pour s’en emparer. Parmi eux se trouvait l’infâme Sophet Drahas, toujours à l’oeuvre dans la cité à ce jour. Vanius et les siens mirent sur pied une expédition visant à reprendre Cadwallon et promirent à tous ceux qui les suivraient une part du gigantesque butin. Cette bande de mercenaires venus des quatre coins d’Aarklash fut baptisée Chiens de Guerre.
La versatilité de leurs talents et les ressources insoupçonnées des Chiens de Guerre vinrent à bout des forces des Ténèbres peu de temps avant que les armées de la Lumière n’interviennent pour libérer Cadwallon. Par d’habiles tractations, Vanius parvint à obtenir l’indépendance de la cité qu’il avait conquise. Il se nomma lui-même Duc de Cadwallon et se mit en tête de rendre à la ville franche sa gloire d’antan.
Au fil des ans, un nombre croissant de vauriens et d’âmes éprises de liberté se rendirent à Cadwallon pour y chercher une nouvelle vie ou de nouvelles sources de profits. Lorsque les habitations de la cité ne furent plus assez nombreuses pour héberger les nouveaux arrivants, les architectes dressèrent un nouvel étage au-dessus des maisons. Puis un autre. Et encore un autre… Cadwallon fut baptisée Cité des Voleurs par les ambassadeurs en visite. Les lois et les institutions se renforcèrent en même temps que le niveau de criminalité. Avec le temps, les Ducs se succédèrent à un rythme de moins en moins soutenu… Lorsque la milice de Cadwallon repoussa à elle seule un assaut mené par les Epeires Akkyshan de la cité de Loth, nul n’osa plus contester la souveraineté de la cité franche sur son territoire. Cadwallon avait forgé son identité dans la multitude ; l’insouciance des rois-voleurs avait vaincu la malédiction et repoussé les Ténèbres.
Mais de nombreux secrets dorment encore dans les murs de l’ancienne cité des Elfes. On dit que ses souterrains n’ont jamais été explorés et que là-bas, l’obscurité engendre la vie !
Le rêve de Vanius s’est réalisé : Cadwallon a retrouvé sa grandeur d’antan, même si celle-ci semble plus inspirée par les Abysses que par le Firmament. La seule recommandation à faire à un voyageur qui voudrait tenter sa chance dans la Cité des Voleurs serait de rester aux aguets : à Cadwallon, tout peut arriver, tout peut se faire, se défaire, voir le jour et surtout... mourir.
Le Joyau de Lanever
Cadwallon est une cité où le Bien et le Mal se mêlent en une infinité de dégradés de noir et de blanc dissimulés sous des masques multicolores. Ses fondations sont d’origine elfique, mais l’adaptation progressive de son architecture aux goûts et aux besoins de ses habitants font de la Cité des Voleurs un endroit unique sur Aarklash. Nul ne saurait dire exactement d’où Cadwallon tire son surnom de Joyau de Lanever : des richesses cachées dans ses souterrains inexplorés, de l’incroyable aura qui émane d’elle ou du style significatif de ceux qui y résident ?
Un visiteur occasionnel sera sans doute ébloui par les fastes de la ville franche. Quelques minutes plus tard, il sera la victime d’un des bandits qui peuplent l’envers du décor. Cette réalité ne se vérifie pas uniquement dans la Ville Basse, lieu du carnaval bi-annuel et empire de la racaille, mais aussi dans les cérémonies exubérantes des palais de la Ville Haute. L’habit ne fait pas le moine, un voleur peut parfois être habillé de soie... En fait, le crime est une institution comme les autres à Cadwallon. On peut même aller jusqu’à dire qu’il fait partie intégrante de l’économie de la cité, dans la mesure où les voleurs possèdent une guilde très bien organisée. Celle-ci a même son mot à dire dans l’application des lois et sur le traitement de ses membres mis sous les verrous !
La Guilde des Voleurs n’est pas la seule de Cadwallon. De nombreux corps de métiers ou sociaux se sont ainsi associés pour peser plus lourd dans la vie de la cité. Au fil du temps, bon nombre de Guildes complètement différentes ont même fusionné pour répondre à des impératifs économiques, politiques ou occultes. D’autres dissimulent en leur sein des sectes aux buts inavouables… Parmi les Guildes les plus influentes, nous pouvons citer l’opulente Guilde des Orfèvres, la Guilde des Cartomanciens, la Guilde érudite et bâtisseuse des Architectes, les mercenaires de la Guilde des Lames et la Guilde secrète des Usuriers. La sinistre Guilde des Nochers, quant à elle, regroupe les marins, les armateurs, les caravaniers et… les assassins qui ont été exclus de la Guilde des Voleurs ou qui refusent de lui verser la Taxe sur le Vol Accompli.
Des représentants de tous les peuples ont élu domicile dans les murs de Cadwallon. Quelques quartiers ont même été colonisés par des ethnies particulières, comme les alentours du port partagés entre Gobelins et Keltois. De toutes ces cultures mêlées est née l’âme de Cadwallon et les nombreuses intrigues qui se nouent et se dénouent chaque nuit dans la Cité des Voleurs. Cadwallon a même son propre langage : le Cadwë, mélange musical des langues de tous les peuples.
Malgré l’incroyable diversité de sa population, seules quatre ambassades sont représentées à Cadwallon : celles d’Alahan, d’Akkylannie, de No-Dan-Kar et de Syharhalna. Il y avait autrefois une ambassade de Tir- Nâ-Bor, mais celle-ci a été démantelée dans des circonstances troublantes. Dans les profondeurs de la Ville Basse règne le plus obscur des ambassadeurs, celui que la Baronnie Maudite d’Achéron dépêcha autrefois pour conquérir la cité : Sophet Drahas, le Roi des Cendres.
Tous les voyageurs sont les bienvenus, à la seule condition qu’ils se plient aux lois en vigueur dans la ville franche. On pourrait penser que Cadwallon est par là même un havre de tolérance, mais il n’en est rien : la plupart de ces lois n’existent que pour servir une quelconque cause absurde. Parmi elles, nous pouvons trouver la taxe sur le transport d’esclaves, pourtant interdit à Cadwallon, et l’interdiction du port d’arme dans la Ville Haute pour les individus dont la taille est supérieure à un mètre cinquante ! Cet édit promulgé par le Duc Koliandre de Tir-Nâ-Bor a engendré une coutume typiquement Cadwalonnienne : pour circonvenir à la règle, les individus les plus riches prennent des Porteurs d’Arme, des gens de petite taille qui suivent leur employeur en transportant des armes parfois deux fois plus grosses qu’eux. Les plus modestes font appel à des Gobelins ou à leurs propres enfants. Certains Porteurs d’Armes sont réputés - et même courtisés - pour leur redoutable adresse au tir… sans parler des serviteurs élémentaires souvent polymorphes invoqués par les Mages-Tarot.
Ces mêmes Cartomanciens ont poussé le raisonnement de leur caste qui stipule que l’Essence précède la Forme. Pour eux, l’Essence n’est que le mystère de la Magie, et la Forme, la représentation du pouvoir. Le Mystère est donc la source du Pouvoir. La formidable protection dont jouit Cadwallon face aux Ténèbres n’est qu’une des nombreuses facettes de cet adage : pour une raison inexpliquée, le Principe Obscur éprouve de nombreuses difficultés à se manifester dans la Cité des Voleurs depuis que Vanius et ses Chiens de Guerre l’ont investie. Malgré toutes leurs tentatives, jamais les Nécromanciens – ou qui que ce soit - n’ont pu ouvrir un Portail de Ténèbres dans les murs de la cité. Du moins, aucun Portail connu…
Les Cartomanciens attribuent cette relative immunité aux Ténèbres au légendaire Tarot de Vanius, un jeu de cartes magiques qui permit autrefois aux Chiens de Guerre de libérer la cité. Même si ses lames ont été dispersées aux quatre coins d’Aarklash, le Tarot protègerait toujours le Joyau de Lanever.
La Cité des Voleurs
On ne peut pas véritablement parler de Cadwallon sans y être allé et avoir ressenti cette indéfinissable sensation qui vous prend à la gorge, à l’esprit et au cœur. Mais tout le monde n’a pas cette sagesse… Pour beaucoup, Cadwallon n’est qu’une injure faite aux dieux et à la civilisation. Le Duc devrait se montrer plus reconnaissant envers les Elfes Cynwäll pour leur générosité et leur patience. Pour les autres, la Cité des Voleurs n’est qu’un lieu de perdition où les plus habiles peuvent amasser une véritable fortune.
Pourtant, l’or est le moins précieux des cadeaux que peut offrir Cadwallon. Sa perpétuelle effervescence et la promiscuité de tous les peuples en font un terrain de jeu idéal pour tous les espions, les comploteurs et les traîtres d’Aarklash. De véritables guerres s’amorcent et s’éteignent dans les couloirs des catacombes et des palais. Bien des rencontres au sommet entre les individus les plus influents du continent se sont déroulées à Cadwallon !
Le Joyau de Lanever est également un carrefour culturel et commercial. Comme la cité suit ses propres règles et sait intelligemment rester neutre dans la plupart des conflits, elle est souvent le théatre d’échanges aussi surprenants que discrets. Le savoir, l’or, la chair, l’amitié, l’amour... tout peut s’échanger dans la crasse des ruelles, les replis des tapisseries et l’ombre des quais du port.
Le jeu des intrigues étriquées et des faveurs échangées permet à Cadwallon de ne compter ni allié ni ennemi parmi les autres nations. Elle fait parfois l’objet de raids de la part des Elfes Akkyshan de Loth ou d’autres adversaires, mais l’enjeu de ces attaques est rarement la conquête. Les sommités du continent ont bien compris que pour s’emparer du Joyau, il faudra se montrer encore plus subtil et plus patient que les Voleurs qui le protègent… Les Cynwäll eux-mêmes ne se sont jamais déplacés pour attaquer ou défendre la cité franche pourtant enchâssée sur un point stratégique de leur territoire. Cadwallon est peut-être encore maudite… et elle sait bien se défendre elle-même.
Le Tarot de Vanius
L’histoire des origines du Tarot de Vanius remonte à l’époque où le sort de Cadwallon se jouait entre les Chiens de Guerre et la Baronnie d’Achéron.
La vanité de Sophet Drahas avait entraîné la destruction de Erciles De Vanth et de Vejovith De Sarlath, les deux autres Liches venues l’aider à conquérir la cité en ruines, lorsque le Roi des Cendres se décida enfin à réclamer de l’aide à Feyd Mantis. Les Chiens de Guerre étaient déja ancrés dans l’enceinte de la cité, alors Drahas leur déclara une terrible guerre sur deux fronts : à l’extérieur et en dessous de la cité. Tôt ou tard les Chiens mourraient de faim… mais c’était sans compter sur une intervention du destin.
Vanius, meneur des Chiens de Guerre et futur premier Duc de Cadwallon, se réveilla un matin en trouvant un magnifique jeu de tarot posé à son chevet. Grande fut sa stupéfaction en voyant que ses meilleurs guerriers et lui-même étaient représentés sur les Arcanes majeures des lames ! La Force, la Roue de la Fortune, l’Etoile... et lui, le Pape. Même Drahas, son adversaire, était représenté dans toute sa sinistre gloire : il était l’Empereur. Sentant l’immense pouvoir inhérent à chaque Arcane, il dissimula la carte de l’Empereur dans sa poche et distribua les cartes à ceux à qui elles étaient destinées. Chacun devina instinctivement quel était l’incroyable pouvoir de sa carte. Alors, avec l’énergie du désespoir, les Chiens de Guerre se lancèrent dans un ultime assaut et brisèrent le siège lors de la bataille du Mur de la Terre. Les armées de la Lumière arrivèrent peu après pour constater que Vanius et ses deux cents mercenaires avaient repoussé la plus grande horde de morts-vivants qu’on ait vue depuis Kaïber. Le pouvoir des Arcanes semblait si grand que les généraux de la Lumière y réfléchirent à deux fois avant de déloger les guerriers de Vanius ; finalement, un arrangement fut trouvé avec les Elfes Cynwäll et la ville acquit sa liberté.
C’est à la suite de ce cuisant échec que Sophet Drahas fut lié à son trône par son maître, Feyd Mantis. Le Divin Baron condamna son serviteur à rester à Cadwallon jusqu’à ce qu’il l’ait conquise. Tel était le prix de son orgueil.
Mais la fraternité des Chiens de Guerre ne résista pas à la victoire. Les Arcanes du Tarot de Vanius s’éparpillèrent à travers Aarklash en même temps que leurs propriétaires. Depuis, leurs pouvoirs et l’histoire des individus qu’elles représentent alimentent les récits des troubadours. On raconte que l’Arcane du Diable représentait autrefois Aghovar, le maître de la Guilde des Voleurs de Cadwallon. Depuis sa disparition, le Diable aurait pris le visage du très saint pape d’Akkylannie, Innocent. Humour symbolique ou révélation cuisante ?
Cette version de l’histoire du Tarot de Vanius est la plus couramment racontée par les Cartomanciens de la Cité des Voleurs. Il est vraisemblable que la réalité ait été quelque peu différente, mais qu’importe... Le pouvoir des Arcanes a éveillé et inspiré la Magie de la Cartomancie à Cadwallon. Les véritables Mages-Tarot sont beaucoup moins nombreux qu’ils le prétendent et suivent tous l’adage... le Mystère est la source du Pouvoir.