Les Rats de No-Dan-Kar
Introduction
Etablir une chronologie même approximative des grandsévénements qui ont marqué les pérégrinations du peuple Gobelin représente une tâche surhumaine. Car du nord au sud, d’est en ouest, même dans les endroits les plus reculés, les plus hostiles et les plus dénués d’intérêt d’Aarklash, les Rats sont partout.
Il ne demeure aujourd’hui que peu de traces du passé des Gobelins avant leur rencontre avec les Nains. Pour autant que les annales des archivistes de Tir-Nâ-Bor nous en apprennent, les Gobelins vivaient à l’origine dans le nord des Monts Aegis. Ils étaient alors regroupés en petits clans primitifs vivant dans les profondeurs des galeries souterraines. Leur tempérament craintif ne les incitait guère à se risquer vers l’extérieur qu’ils considéraient alors comme le domaine des dieux et des monstres. Ils se contentaient de se nourrir de champignons et de petits animaux qui s’aventuraient dans les grottes.
Leur histoire bascula le jour où les Nains, venus des monts du sud, vinrent s’installer sur leur territoire.
Prirent-ils les Nains pour des envoyés des dieux ou pour des dieux eux-mêmes ? Cela demeure un mystère. Mais après quelques temps, ils se mirent à leur apporter des offrandes, de la nourriture et des statuettes de pierre taillée. Certains Nains s’en amusèrent. D’autres y virent un tout autre intérêt. Ces créatures étaient chétives, mais nombreuses. En outre, leur petite taille était parfaitement adaptée à la vie dans ces boyaux étroits et leur agilité était sans pareille.
Alors les Nains entrèrent dans leur jeu.
Ils leur commandèrent tout d’abord de creuser des galeries et d’aménager pour eux les grottes souterraines. Les Gobelins s’acquittèrent de cette tâche de bonne grâce et avec ferveur. Mais ce-faisant, ils mirent à jour de nombreuses veines de métal et les anciens alchimistes s’intéressèrent de près aux fabuleuses propriétés de ces minéraux rares. Cette découverte constitua une révolution majeure et il fallut bientôt de plus en plus de main d’œuvre pour exploiter les filons de fer. Les Nains se firent plus exigeants, n’hésitant pas à châtier durement les Gobelins qui ne travaillaient pas assez vite. En quelques années, la totalité des tribus de Gobelins furent réduites en esclavage. Les Nains les maintenaient asservis par la force et surtout par la crainte qu’ils leur inspiraient. Cette situation perdura pendant des centaines d’années, mais elle ne pouvait durer éternellement. Il existe plusieurs versions de ce qu’il advint réellement et celles-ci varient bien sûr grandement selon qu’elles vous sont narrées par un Nain ou par un Gobelin. Mais une chose est certaine, le voile tomba un jour. Les Gobelins se rendirent compte que les Nains n’étaient pas les êtres divins qu’ils prétendaient être : leur sang pouvait être versé et leur mort était aussi définitive que la leur. Il y eut un grand soulèvement, et les souterrains résonnèrent longtemps du bruit des combats. Les Gobelins étaient plus nombreux que les Nains, mais ces derniers étaient plus forts, mieux armés et inspiraient encore de la crainte à leurs adversaires. Pour ces raisons, les Nains ne furent pas anéantis. Mais ils ne parvinrent pas à mater la rébellion.
Les Gobelins quittèrent les mont Aegis et se dispersèrent par petits groupes. Le plus grand nombre d’entre eux franchit le Zokorn au nord des montagnes. Ils tentèrent tout d’abord de s’installer dans la grande forêt, ignorant qu’il s’agissait là du territoire des terribles Wolfen… La terreur que ces créatures leur inspirèrent fut telle qu’ils quittèrent ces bois sur-le-champ et se réfugièrent dans les marais de No-Dan-Kar.
Les Cités Champignons
La plus importante concentration de Gobelins connue à ce jour se situe sur le plateau de No-Dan-Kar. Leurs plus anciennes cités, Klûne, Zûog et Barg, se trouvent dans les marais qui bordent la côte nord, là où le plateau décline jusqu’au niveau de la mer, à l’embouchure du Zokorn.
Klûne est aujourd’hui considérée comme la capitale de la nation Gobeline. C’est là que s’installèrent jadis les Gobelins qui fuirent les monts Aegis pour échapper aux Nains. Ceux-ci découvrirent, au cœur des marécages, les ruines d’une antique cité et jugèrent l’endroit parfait.
A l’heure actuelle, Klûne offre un visage des plus incroyables. Au fil des décennies, le cœur de la cité s’est largement étendu en superficie. La prolifération des Gobelins se fait à une telle vitesse que leurs taudis poussent chaque jour comme des champignons.
La vieille Klûne est ceinte d’un rempart de pierre et de bois, mais les habitations ont depuis longtemps débordé hors de cette limite. La ceinture extérieure est dix fois plus peuplée que le centre de la ville. Les « maisons » sont la plupart du temps adossées aux troncs de palétuviers géants et de petites annexes habitables, destinées à protéger leurs habitants des inondations, sont construites en hauteur. Ces masures sont faites de bois et de joncs ainsi que de tout un fourbi d’éléments hétéroclites récupérés au cours de pillages aux quatre coins du continent.
La vieille ville, bien que fondée sur les ruines d’une cité qui fut sans doute prestigieuse en son temps, n’en offre pas moins le même aspect anarchique. Le palais impérial lui-même constitue le meilleur exemple de cette propension au chaos. Bâti sur le site d’un ancien temple, il constitue à la fois une remarquable collection de pièces inestimables ainsi qu’un véritable florilège de fautes de goût. Chaque empereur Gobelin apporta sa touche personnelle à la décoration, sans pour autant prendre la peine de l’harmoniser avec celle de ses prédécesseurs. D’immenses statues volées dans des temples Akkylanniens côtoient des idoles Keltoises. Au centre de la salle du trône se dresse un menhir gravé d’inscriptions Wolfen, ramené de la forêt de Diisha au prix de la vie de centaines de Gobelins. En son temps, l’Empereur Fréhon se piqua de faire repeindre la salle du conseil. Il conclut alors un pacte avec deux prisonniers Daïkinee qui gagnèrent leur liberté en peignant pour lui une fresque somptueuse.
La société Gobeline suit sensiblement le même schéma désordonné. En fait d’empire uni autour d’une personnalité forte, il s’agit en réalité d’une ploutocratie, une société dans laquelle l’argent règne en maître et dont les dignitaires s’affublent à plaisir de titres ronflants. Les Barons, Ducs et autres Marquis ne sont pas issus d’une quelconque noblesse de sang. La plupart d’entre eux seraient d’ailleurs bien en peine de pouvoir établir leur lignage. Il s’agit ni plus ni moins de Gobelins plus malins que les autres qui sont parvenus à faire fortune. Car chez les Gobelins, la richesse ouvre toutes les portes !
La notion d’empire se résume ainsi à une association de personnages influents, unis dans l’unique but de résister à l’ascension de ceux qui tentent chaque jour de prendre leur place. Dans de telles conditions, il est bien évident que complots et disparitions mystérieuses sont monnaies courantes, à Klûne comme dans toutes les villes Gobelines.
Il existe cependant un autre pouvoir que celui de l’or. Celui de la foi.
Le culte de Rat est particulièrement vivace et ses Fidèles comme ses Prophètes sont légion. La « noblesse » Gobeline doit sans cesse composer avec ce paramètre susceptible de pousser la populace à prendre les armes au nom d’une quelconque quête sacrée. On a parfois vu une ville Gobeline se vider des deux tiers de sa population pour suivre un illuminé en route pour une croisade. Aussi, la classe dirigeante Gobeline se méfie-t-elle comme de la peste des Fidèles de Rat. Ceux-ci sont surveillés en permanence et leur quiétude est grassement encouragée par de généreux mécènes. Mais lorsque l’un d’eux se prend soudain de stimuler un peu trop fougueusement la fibre sacrée du peuple, il est en général discrètement « rappelé auprès de Rat ».
Il arrive cependant que l’Empereur encourage au contraire les Fidèles à réveiller certaines ardeurs chez la population. Ainsi, des raids dont la raison d’être n’est autre que le pillage prennent bien souvent des dimensions de véritable guerre sainte. Ceci présente de nombreux avantages. Tout d’abord, réunir une force armée dans un climat de grande ferveur religieuse s’avère bien plus rapide que la conscription classique. En outre, les Gobelins se battent avec un courage décuplé s’ils le font au nom de Rat. Pour terminer, et c’est là que réside tout le cynisme de la manipulation, lorsque les Gobelins agissent au nom de leur dieu, ils offrent de bonne grâce la grande majorité des fruits de leurs rapines au clergé, qui en reverse lui-même une grande partie aux nobles.
Dans un tel climat, il n’est guère étonnant que la longévité des empereurs soit pour le moins aléatoire. Et dans certains cas, les apparences peuvent se montrer trompeuses. Ainsi, anecdote savoureuse, l’Empereur Izothop aujourd’hui en place n’est pas le même que l’Izothop qui régnait encore il y a peu. Ce dernier mourut accidentellement étouffé par son oreiller et son successeur, soucieux de ne point causer de désordre, usurpa son nom pour le bien de tous.
Pirates, Négociants et Diplomates
Quel que soit l’endroit du monde où ils demeurent, tous les peuples d’Aarklash ont un jour eu affaire aux
Gobelins d’une manière ou d’une autre. Si beaucoup les considèrent comme de la vermine nuisible, leurs relations avec certaines nations, humaines ou non, sont parfois complexes, voire paradoxales.
Les Gobelins nourrissent par exemple une vieille rancune à l’égard des Syhars qui utilisèrent jadis les émissaires venus de Klûne pour leurs premières expériences destinées à créer les Orques. Pourtant, l’appât du gain a largement contribué à gommer les « malentendus » du passé. Ainsi, certains Gobelins se sont spécialisés dans la vente d’esclaves et commercent avec les Scorpions, toujours en quête d’un potentiel intéressant pour leurs recherches. Les prisonniers Keltois, Barhans, Akkylanniens, Nains, parfois même des Wolfen qui se négocient à prix d’or, sont acheminés par voie maritime depuis la Plaine des Larmes jusqu’au comptoir de Kashem.
Les Syhars ne sont pas les seuls clients des Gobelins. Les esclaves les plus robustes et les plus agressifs, sont souvent vendus aux notables de Cadwallon. La plupart d’entre-eux finiront leurs jours comme gladiateurs.
Les plus téméraires des « maroquiniers » Gobelins se risquent parfois même jusqu’à commercer avec les Nécromanciens du Bélier, échangeant des esclaves contre des gemmes de Ténèbres qu’ils revendent ensuite aux Syhars.
Les marchands Gobelins ne sont cependant pas tous des esclavagistes. Beaucoup d’entre eux sont d’honnêtes commerçants qui parcourent le continent pour revendre le fruit des pillages des pirates et autres bandits de grand chemin avec qui ils entretiennent d’excellentes relations.
Ils sont également en assez bon termes avec leurs « cousins » de Bran-Ô-Kor. Des relations bien évidemment intéressées puisque les Gobelins ont découvert une nouvelle source de profits sur le territoire des Orques : du pétrole !
Les Orques découvrirent les premiers les propriétés inflammables de cette substance. Mais l’utilisation qu’il en firent demeura primitive. Les ingénieurs Gobelins, par contre, mirent au point des procédés complexes de raffinage qui leur permettent aujourd’hui d’utiliser cette source d’énergie dans de nombreux domaines.
Ce commerce a rendu le port de Kashem extrêmement florissant. Les navires affrétés par les Gobelins y accostent chargés d’esclaves. Ceux-ci sont vendus aux Syhars, puis les marchands Gobelins achètent de la nourriture avant de partir vers le nord en direction de Bran-Ô-Kor où la nourriture sera échangée aux
Orques contre du pétrole.
Les Gobelins doivent cependant déployer toute l’étendue de leurs talents pour dissimuler aux Orques leur commerce avec les Syhars. Car si ceux-ci venaient à l’apprendre, les jours du port
de Kashem seraient comptés, au même titre que ceux des marchands Gobelins.
Ce commerce florissant a permis à de nombreux Gobelins de se faire une place dans les plus grandes cités de No-Dan-Kar ou, pour certains, au cœur de la noblesse de Cadwallon. Comme tous les Gobelins, ils affectionnent les marques de prestige aussi discrètes qu’un Troll de Guerre. Ils se font appeler Duc ou Marquis, mais bien que personne ne soit dupe, nul ne s’autoriserait à rire ouvertement d’eux car leur fortune leur permet de s’offrir bien plus que des titres de noblesse.
Ainsi, en quelques centaines d’années, le peuple primitif qui fut asservi par les Nains est devenu l’un des acteurs principaux de la vie sur Aarklash. A ce jour, même si nombre de puissances n’affichent ouvertement que du mépris pour les Rats de No-Dan-Kar, aucun ne se risquerait à prendre à la légère la menace sous-jacente qu’ils représentent.
La G.A.G
Las de voir ses armées se faire mettre en pièces par des forces inférieures en nombre mais plus disciplinées, l’Empereur Zavirax, prédécesseur de feu l’Empereur Fréhon, fonda la Grande Académie de Guerre pour y former les futurs officiers de No-Dan-Kar.
Située à quelques kilomètres de Klûne, sur les ruines d’un ancien amphithéâtre, la G.A.G. compte en permanence une cinquantaine d’instructeurs pour quelque deux cents aspirants. Ces derniers y acquièrent la science de la guerre grâce aux préceptes édictés par les plus grands généraux, non seulement Gobelins, mais également Barhans, Griffons et Nains dont les traités militaires, acquis par le pillage de quelque bibliothèque, ont été traduits par les copistes Gobelins.
Des cours de géographie portant sur le relief et le climat de chaque région du continent y sont également dispensés de manière à préparer les officiers à toutes les situations qu’ils seront amenés à rencontrer.
Ils apprennent également la langue des Hommes, celle des Elfes ainsi que celle des Orques et étudient les us et coutumes des autres peuples d’Aarklash.
Malheureusement, la sélection des candidats ne tient guère compte de leurs prédispositions. Seuls les dignitaires les plus fortunés peuvent se permettre d’envoyer leur progéniture à la G.A.G.
Hélas, cette initiative qui était au départ destinée à rehausser le niveau des armées de No-Dan-Kar, fut rapidement détournée par la noblesse de Klûne et des alentours. Car avoir un fils officier dans l’armée constitue un moyen efficace et moins onéreux que la corruption d’étendre son réseau d’influence.
Ainsi, bien que quelques éléments de valeur soient sortis de la G.A.G., la plupart des diplômés se révèlent aussi utiles sur le champ de bataille qu’un furoncle sur la fesse d’un Troll…