Les Limbes d'Achéron
Introduction
Comment croire que le domaine d’Achéron fut autrefois l’une des Baronnies les plus prospères d’Alahan ? Comment les Lions ont-ils pu laisser leurs propres frères ouvrir les sept portes de la damnation éternelle ? Les écrits les plus anciens permettent d’imaginer la scène d’une des plus grandes tragédies qu’ait connu Aarklash : celle de deux puissants qui se laissèrent corrompre parce qu’ils avaient soif du pouvoir des dieux et qui choisirent de devenir la Mort parce qu’ils en avaient peur.
Ces ouvrages vénérables décriraient d’abord une époque : celle du règne de Michaellis d’Alahan. La Magie des Ténèbres et ses maléfices sont presque inconnus et la Lumière semble reléguée aux histoires d’Atrocités que les enfants écoutent avant de s’endormir. C’est l’Age d’Or…
Ils décriraient ensuite un lieu : la Baronnie d’Achéron. Le seul moyen d’y accéder est l’étroite passe de Kaïber, au sud de la chaîne du Behemoth. Malgré son isolement, le domaine est des plus généreux. Ses terres fertiles sont administrées par de puissants seigneurs issus des plus illustres lignées. Le plus grand d’entre eux est Feyd Mantis, le « Divin Baron », réputé pour sa sévérité autant que pour ses célébrations sulfureuses. L’académie de Magie d’Achéron, dirigée par l’Arch-Mage Kaïan Draghost, est la plus réputée du continent. On murmure que Draghost convoiterait l’accès au domaine des Chroniqueurs…
Enfin, pour compléter la scène, ces livres inestimables décriraient une action. Feyd Mantis, élevé entre les fastes de Kallienne et les rigueurs de la guerre, n’a jamais pu suivre sa vocation de toujours : la prêtrise. De toute façon, il ne pourrait pas abandonner les plaisirs de la chair et de l’esprit... Kaïan Draghost, de son côté, est l’ambassadeur des Chroniqueurs auprès d’Alahan. Mais cela ne lui suffit pas : il ne veut pas être l’instrument du pouvoir, il veut être le pouvoir. Pour des raisons incompréhensibles, les Chroniqueurs refusent de le faire entrer dans leur cercle. La jalousie ronge le cœur de l’Arch-Mage…
La fatalité les met alors sur la route l’un de l’autre.
Ainsi naissent les Toges Noires, ordre secret de Magiciens et de nobles, entièrement dédié à l’exploration des formes de Magie méconnues. Kaïan Draghost y voit là un moyen d’agrandir encore sa puissance, Mantis y cherche un moyen d’atteindre la félicité en empruntant une route pavée de plaisir. L’un et l’autre pervertissent rapidement l’Ordre en explorant des voies interdites et en élevant des pratiques déviantes au rang d’art. Ils redécouvrent la Magie des Ténèbres et, dans leurs rêves impies d’immortalité, commencent à relever les morts. La Magie Hermétique corrompue est nommée Typhonisme et la Nécromancie apparaît dans le sillage Ténébreux de cette Voie infernale.
La suite est inéluctable : la Chimère, alertée du retour des Ténèbres sur la terre des mortels, dévoile la machination. Les forces de la Lumière s’apprêtent alors à envahir la Baronnie rebelle, mais il est trop tard : l’influente secte des Toges Noires la contrôle déja et, après une purge sanglante au sein de ses rangs, se rebaptise Ordre du Bélier. Les armées des Principes se rencontrent dans la passe de Kaïber et engagent une effroyable bataille où trois dieux des Ténèbres, Salaüel, Dhalilia et Bélial, interviennent grâce à la volonté de Mantis et le pouvoir de Draghost.
Les siècles ont passé. En ces sinistres nuits, la puissance d’Achéron ne cesse de grandir. Les dignitaires du Bélier sont presque tous des Liches, des seigneurs immortels commandant à d’innombrables légions damnées.
La Baronnie Maudite a levé la bannière des Ténèbres.
La bataille de Kaïber n’est toujours pas terminée.
Pas plus que l’histoire de la Baronnie Maudite.
Le Fief des Ténèbres
Le paysage d’Achéron n’est pas le cauchemar qu’on pourrait imaginer pour le pays des morts qui vivent. En dehors des salles de bal des Liches, nulle flamme infernale, nulle interminable procession sacrificielle. Il n’y a que le désespoir, la grisaille et le néant.
La Baronnie Maudite est plongée dans une nuit surnaturelle qui n’est transformée en ciel d’orage que lorsque Lahn est au zénith. La végétation est rare et rachitique, quand elle n’est pas dangereuse pour l’homme. Les arbres cristallisés par les Ténèbres ou calcinés par les fluides corrompus de la terre dressent leurs branches torturées comme une ultime supplique au ciel dévasté. Les verdoyantes forêts d’Achéron ont laissé place à des rangées de pals où gémissent encore les fantômes de ceux qui sont morts ici pour le plaisir des maîtres de ce domaine. Les animaux, quant à eux, ont appris à varier leur menu au point que la chaîne alimentaire ne s’articule plus qu’autour d’espèces omnivores et cannibales, créant un cycle où autrefois il y avait une pyramide.
Contrairement à ce qu’on pourrait croire, Achéron n’est pas habitée que par des morts-vivants. Au contraire, ceux-ci forment une minorité au sein d’une population de serfs entièrement soumis aux désirs des seigneurs des Maisons. Les morts font d’excellents serviteurs, mais les vivants sont largement plus productifs... et bien plus divertissants ! Les Nécromanciens sortent parfois de leurs palais d’or et d’ivoire pour choisir un nouvel esclave ou un nouvel apprenti, ce qui correspond à peu près au même. Ces occasions sont le seul espoir d’une vie meilleure pour les malheureux habitants d’Achéron car les deux seules lois qui règnent là-bas sont celle du plus fort et l’obédience aux Ténèbres.
La Baronnie d’Achéron était autrefois le domaine de nombreuses familles aristocratiques regroupées en Maisons. Celles-ci avaient sans doute la réputation la plus terrible des protecteurs de la Lumière : leur isolement avait sans doute contribué à l’extrême intransigeance de ces nobles pour qui la guerre était un art où le plus fort avait le devoir d’écraser le vaincu. Nul doute que les Chevaliers de la Dixième Baronnie auraient apprécié la chaleureuse compagnie des Inquisiteurs de l’actuelle Akkylannie… La mort n’a rien changé, sauf peut-être la franchise des Patriarches des Maisons quant à leurs propres ambitions. Les intrigues des maîtres d’Achéron peuvent se dérouler sur plusieurs générations : en tant qu’immortels, ils ont l’éternité devant eux !
Seule une poignée de ces illustres familles a survécu aux luttes fratricides, à la purge des Toges Noires et au passage du temps. Beaucoup ont été assimilées, pour ne pas dire englouties, par des Maisons plus puissantes. D’autres ont été anéanties jusqu’au dernier de leurs représentants. Il va donc sans dire que les Maisons restantes sont des modèles d’organisation politique, militaire et sociale. Chacune d’entre elle possède son propre fief au sein de la Baronnie, bien que les frontières soient parfois contestées. Comme autrefois, le centre des opérations de chaque Maison est la citadelle familiale, à l’architecture à nulle autre pareille sur Aarklash. Ces constructions surprenantes, pas toujours édifiées à la surface de la terre, ont reçu le surnom de Griffes de la Terreur.
Chaque Maison d’Achéron dispose d’un Patriarche ou d’une Matriarche siégeant au Conseil de l’Ordre du Bélier. Le nombre et la puissance de leurs dignitaires sont très variables, allant d’un seul individu pour la Maison Draghost à plus de quatre-vingts pour la Maison de Brisis, sans compter les membres assimilés et leurs principaux serviteurs.
Les plus puissants êtres divins ou élémentaires des Abysses se sont liés avec chacune des Maisons d’Achéron, ouvrant les portes de leurs Royaumes en échange de faveurs indescriptibles. Certains y furent contraints, d’autres apportèrent spontanément leur soutien, ne fût-ce que pour satisfaire leurs appétits aussi sombres que variés. Ainsi Hécate, démon du Feu Abyssal, semble indissociable de la Magie Calcinée de la Maison d’Hestia. Typhon en personne, Maître des Langages, Démon aux Cent Visages, a offert son patronage à la Maison Lazarian. Chaque Griffe de la Terreur dispose ainsi d’un Portail Elémentaire permanent menant droit à l’un des six Royaumes cardinaux des Abysses. Les deux exceptions sont la Maison Draghost, dont le Portail mène à Erebus, centre des Royaumes Abyssaux, et la Maison Mantis. Son Patriarche, Feyd, peut passer dans les Royaumes où et quand il le désire.
Nulle autre entité n’est aussi honorée que peuvent l’être le Seigneur des Ténèbres, la Reine du Vice et le Prince des Abysses. Salaüel, Dhalilia et Bélial sont au coeur du panthéon Achéronien. Les Nécromanciens et les Prêtres de leurs cultes n’hésitent pas à sacrifier des centaines de vies pour rendre grâce aux seuls dieux qui ont bravé puis abattu le mur du Temps. Si Salaüel s’exprime parfois à travers Feyd Mantis, la Nécromancienne Rhéa de Brisis est quant à elle régulièrement possédée par Dhalilia. Bélial, enfin, n’hésite pas à se joindre aux combats lorsque la moisson des âmes a été suffisante. L’apparence de Bélial change en fonction de son humeur et de ses objectifs, mais on peut toujours le reconnaître à ses attributs de pouvoir : les Cornes de Noirceur et Brûlure, une faux démesurée qui déchire l’âme aussi bien que le corps.
L’Inlassable Ennemi
Les maîtres de la Baronnie Maudite entretiennent de lointains rapports avec les autres peuples. Peu d’individus sont capables de supporter leur aspect physique et la manière dont ils asservissent leurs esclaves même après la mort. Les seules relations diplomatiques régulières d’Achéron se font avec les Elfes Akkyshan et les Alchimistes de Dirz. Drunes et Nains de Mid-Nor ont également des contacts avec Achéron, mais de manière plus ponctuelle.
Deux raisons majeures justifient le pacte de non-agression informel que partagent ces différents peuples avec Achéron.
Premièrement, la seule véritable richesse dont dispose la Baronnie Maudite dans ses transactions reste les gemmes de Ténèbres : puisque les Nécromanciens ont accès aux Royaumes Obscurs, leurs abondantes réserves de gemmes de cet Elément semblent inépuisables. Les autres peuples des Ténèbres ont eux aussi accès à ces Royaumes, mais il s’avère parfois plus rapide et plus rentable de commercer directement avec Achéron que d’équiper des expéditions risquées en direction de ces domaines hostiles.
Ensuite, le principal adversaire d’Achéron est l’Alliance de Lumière composée de leurs frères ennemis d’Alahan, des Griffons d’Akkylannie et des Dragons de Lanever. La forteresse de Kaïber se dresse comme un obstacle insurmontable entre Achéron et la conquête d’Aarklash. Alors, comme pourrait le dire le proverbe, l’ennemi de l’Alliance de Lumière est l’ami d’Achéron. Mais tout n’est pas si simple : les peuples des Ténèbres ont parfois du mal à mettre leurs propres ambitions de côté et n’ont pas l’abnégation de leurs adversaires. Achéron, en tant que grand symbole de fiel aux yeux de la Lumière, joue donc un rôle fédérateur dans le conflit qui oppose les Principes opposés.
Mais les rapports entre les peuples des Ténèbres ne s’arrêtent pas là. En dehors du commerce de gemmes et de la coordination militaire, d’autres projets semblent unir les dirigeants d’Achéron, de Shamir et de Lithys. Jusqu’à présent, nul n’a réussi à percer le secret de ces relations secrètes...
Avec ou sans l’appui de leurs alliés, se mesurer aux forces d’Achéron sur un champ de bataille revient souvent à affronter ses propres cauchemars. Beaucoup de guerriers n’y vont que contraints et forcés, ou motivés par la promesse d’une solde avantageuse. La mort ne fait pas grande distinction des origines, de la noblesse et encore moins du peuple : il est courant de voir des Wolfen, des Nains et même des Elfes rejoindre les rangs de leurs bourreaux sous la forme de zombies. On raconte même que les Ténèbres auraient ressuscité au moins une nation disparue : les illustres Centaures de Koldan.
Les armées d’Achéron se déversent inlassablement sur leurs adversaires, comme des marées d’os et de chair putréfiée pliées à la volonté des Obscurs. Sans parler des invocateurs qui font appel à la toute-puissance des démons pour soumettre les rangs de la Lumière... Celui qui n’a pas vu un démon Moloch et sa cour d’Anges Morbides obscurcir la lumière du soleil de leurs ailes infernales ne peut pas comprendre qu’aucune armure ne protège de la peur.
Il y a pourtant un mal bien pire que celui qui hante les champs de bataille. Un péril qui rôde là où les ombres paraissent inoffensives et qui s’insinue là où la pureté et l’intégrité semblent régner. Achéron sème parfois la semence des Ténèbres par l’intermédiaire de fraternités dissimulant d’épouvantables sectes, de bienfaiteurs corrompus ou en soumettant les innocents à la tentation. Chaque mortel a sa faiblesse, son prix, ses secrets... et bientôt viendra le temps des moissons.
Pandemonium
L’omniprésence des Ténèbres n’est pas la seule raison de la dévastation des terres de la Baronnie d’Achéron. Alors qu’il venait d’ouvrir le premier Portail des Ténèbres, Kaïan Draghost fut transporté dans un endroit qui ressemblait à un Royaume Inachevé. Le ciel se mêlait à la terre et partout des montagnes, des collines et des plaines flottaient au-dessus du vide. Il était sur un des îlots qui marquent les frontières de la Création, là où les Ténèbres furent autrefois bannies par la Lumière. Le seul résident de cet endroit habitait une citadelle perchée en haut d’une falaise jouxtant le Néant. Aker, tel était son nom, mena Draghost aux six portes des Royaumes Ténébreux et lui permit de les ouvrir, car seule une main mortelle pouvait le faire.
Ce Royaume d’exil était Erebus, le centre des domaines Obscurs.
Au fil du temps, Achéron a exploité les ressources de son sol pour ériger une cité à Erebus. Celle-ci fut baptisée Pandemonium, du nom de la citadelle du démon Aker. Edifiée sur près de trois siècles par les mains des esclaves et la puissante Magie de Typhon, Pandemonium est actuellement en passe de surpasser Kallienne en taille et en population, mortelle ou immortelle. Et son expansion ne fait que commencer...
Chaque Maison d’Achéron trouve la réplique exacte de sa citadelle sur Erebus. D’étranges êtres extérieurs et d’effroyables nefs célestes traversent le Néant pour relier les îlots entre eux. Les lois de la Magie n’étant pas les mêmes que sur Aarklash, de nombreux Portails s’ouvrent dans les luxueux palais des maîtres et leur donnent accès à la plupart des Royaumes Elémentaires.
Aucun autre peuple d’Aarklash ne semble connaître l’existence de Pandemonium. La nuit viendra où les Nécromanciens emprunteront les Portails du Monde Mort pour surprendre leurs ennemis. Alors nulle forteresse ne saura retenir le flot de Ténèbres et Aarklash ne sera que le premier pas vers la conquête de la Création...